Menu

Le Mucem déshabille le naturisme jusqu’à l’hiver


Rédigé le Mercredi 17 Juillet 2024 par Éric Collomb


Aucune exposition n’a jamais été consacrée au naturisme en France. Le Mucem l’ose en cet été olympique pour libérer les regards et les esprits sur sa pratique.


L’exposition s’étend sur 500 m2 et retrace l’histoire du naturisme de l’Antiquité à aujourd’hui. (Photo JC Barla)
L’exposition s’étend sur 500 m2 et retrace l’histoire du naturisme de l’Antiquité à aujourd’hui. (Photo JC Barla)
L’histoire de l’art regorge de nus en pleine nature, mais qu’un musée consacre 500 m2 à une exposition sur le naturisme peut désarçonner. Certains esprits le soupçonneront de vouloir racoler le touriste avec une pratique le plus souvent tenue loin des regards dans des espaces clôturés, comme si elle était honteuse, alors qu’elle libère les corps et laisse respirer l’esprit, les nettoyant des complexes et préjugés. Qui d’autre que le Mucem pouvait s’y atteler ? Plusieurs années de recherche et de collecte d’archives auprès de centaines d’institutions et de particuliers auront été nécessaires. La Méditerranée est le lieu où le naturisme compte des sites pionniers, l’île du Levant ou le Cap d’Agde, et parfois même sauvages, comme ce fut longtemps le cas sur la plage de Piémanson à Arles.

Le Mucem se veut musée des arts et traditions populaires (même si le naturisme a émergé au 19e siècle de petites communautés marginales en Suisse, en Allemagne aussi bien qu'en France) et il est surtout devenu le musée emblématique de Marseille où la pratique du naturisme compte 120 ans d’histoire, des calanques au Frioul. A travers cette exposition, le Mucem offre aux yeux de tout visiteur les secrets de la naissance et des convictions écologiques du mouvement jusqu’aux expressions plus contemporaines (et protestataires) de la nudité. Pour son président, Pierre-Olivier Costa, « le naturisme a pensé des manières d’être et a posé des questionnements à la nature, au corps, à l’alimentation, à l’image de soi et de l’autre. En tant que musée de société, nous avons voulu revenir à la source de ce phénomène social dès lors que le public avait besoin de renouer avec ces pratiques ».

Incroyablement documentée, avec plus de 600 ouvrages, magazines, films, affiches, photos, sculptures, témoignages officiels et privés, et scénographiée par l’agence Trafik, « l’exposition est inédite, aucun musée en France n’en a proposé », insiste Amélie Lavin, conservatrice en chef du Mucem et responsable « corps, apparences, sexualités », qui a voulu valoriser « une histoire collective » et plutôt « les naturismes » que "le" naturisme.

 

Une vie saine avant tout le monde

L’île du Levant est le « paradis naturiste » pionnier en Provence-Alpes-Côte d’Azur. (Photo JC Barla)
L’île du Levant est le « paradis naturiste » pionnier en Provence-Alpes-Côte d’Azur. (Photo JC Barla)
Le parcours ne manque pas de surprises, dès les premiers pas, avec les appels des premières communautés au 19e siècle, en réaction à la révolution industrielle, à vivre et s’alimenter sainement, à la simplicité de loisirs sportifs dans la nature, à l’entraide dans l’aménagement de terrains près de lacs ou en forêt, aux bienfaits de la lumière pour la santé. Ces discours résonnent encore à nos oreilles d’aujourd’hui. Une revue recommande même de refuser la généralisation à tout crin des vaccins !

A l’époque, la nudité intégrale ne s’est pas imposée tout de suite. « Les naturistes ont inventé le bikini, bien avant les années 60 », souligne Thomas Lequeu, commissaire associé de l’exposition. « On est à l’intérieur d’une approche médicale », ajoute Bernard Andrieu, co-commissaire, philosophe, professeur à l’Institut des sciences du sport et de la santé à Paris. La quête de liberté fonde toujours cette volonté de partage collectif avec un paradoxe : le règlement intérieur est très strict. Ce sont des médecins, les frères Durville, qui importeront au début des années 30 sur l’île du Levant, un modèle de « cité radieuse naturiste », Héliopolis.

Jean-Pierre Blanc, directeur de la villa Noailles à Hyères et co-commissaire, qualifie l’initiative d’ « aventure organisée collective » avant qu’une grande liberté s’y propage, sous réserve d’arborer, au sein du village, un « minimum », sorte de string presque aussi révélateur que dissimulateur de parties intimes. A Marseille, c’est sur l’île du Frioul, dans l’Hôpital Caroline désaffecté, que des naturistes se rassemblent dans les années 30, avec l’autorisation de la mairie ! Un militantisme renouvelé plus récemment pour la calanque des Pierres-Tombées, à Sugiton. Après la 2e guerre mondiale, le mouvement se structure en France (Clubs du Soleil, fédération…) et le Centre Héliomarin de Montalivet, en Gironde, prend pied sur la façade atlantique. En Occitanie, naît le premier camping du Cap d’Agde d’où se propulsera dans les années 60-70 le gigantisme bétonné d’un complexe où se retrouvent l’été cinq dizaines de milliers de vacanciers de toute l’Europe.

 

Plus de 600 documents dont les revues historiques du mouvement sont présentés dans l’exposition. (Photo JC Barla)
Plus de 600 documents dont les revues historiques du mouvement sont présentés dans l’exposition. (Photo JC Barla)

Régir ou libérer pour préserver ?

Les principes naturistes ont anticipé d’autres préoccupations de nos temps plus récents : la non-discrimination des corps, l’égalité des hommes et des femmes, la place des personnes en situation de handicap, l’acceptation de l’autre dans son intégrité et sa diversité… « Un corps nu ne dit rien de la catégorie socio-professionnelle d’un individu », rappelle l’un des commissaires. Ces valeurs préfigurent-elles un avenir d’expansion ? En France, la nudité naturelle, pour son simple bien-être en plein air, reste juridiquement punie, dès lors qu’elle est perçue comme une « exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui ».

Pourrait-on imaginer dans ce pays où l’on s’invective sur les « bons » vêtements à porter sur une plage, que, comme dans des parcs ou sur des côtes en Allemagne, voire en Espagne, autoriser ou tolérer n’importe où l’accès à tous, du burkini au nudisme, dans le respect des envies du moment des uns et des autres, pourrait clore définitivement le débat ? Pour Jean-Pierre Blanc, l’exposition vise « à faire en sorte que les gens se parlent » puisqu’elle est ouverte à tous, enfants compris, le naturisme restant essentiellement familial. Pourtant, il avoue une inquiétude : « Tous ces lieux sont confrontés à d’immenses fragilités. Leurs règles consistent surtout à les faire perdurer. Il faut se battre ». Amélie Lavin évoque « une utopie contemporaine », Bernard Andrieu, « une éthique à préserver ». Un espoir cependant : le naturisme pourrait être inscrit demain par l’Unesco au « patrimoine immatériel de l’humanité ». Pour rester à jamais un « paradis » ?

« Paradis Naturistes » jusqu’au 9 décembre au Mucem.




Éric Collomb

Lire aussi :
< >

Mercredi 17 Juillet 2024 - 13:15 Les Maeght, une passion mécène ancrée au Sud

Lundi 3 Juin 2024 - 14:26 L'île Degaby se met à table





Abonnement en ligne
à Businews le Mag